Nous devrions toujours nous méfier des poncifs sur les auteurs.
Quand François Florent m’a proposé, en décembre, de mettre en scène une pièce de Ionesco pour le Festival International de Bratislava et que nous avons choisi « Jacques ou la soumission », je me suis demandé où me conduirait cette aventure théâtrale. Je connaissais très peu l’auteur de « La Cantatrice Chauve », et j’avais le sentiment d’un écrivain passé et d’une écriture noyée dans un comique absurde. A chaque fois que je disais que nous allions travailler sur Ionesco, je recevais pour toute réponse un regard ou un « Ah ! » dubitatif.
« Erreur tragique » comme dirait justement Ionesco. Si Tchékhov a son samovar et la langueur slave, Brecht le didactisme, Proust sa madeleine, Ionesco a l’absurde pour toute définition. C’est au cours des lectures au mois de février que nous avons compris, avec les comédiens, combien son texte était subtil, drôle, scrutant l’intimité trop humaine des protagonistes de la pièce. Il nous fallait surtout du temps pour nous départir des poncifs qu’on ressasse sans cesse sur cet auteur. Car dans Jacques ou la soumission et L’avenir est dans les œufs, l’absurde ne réside pas dans l’écriture — celle-ci relève plutôt du poème dramatique—, mais dans les situations engendrées par les personnages. Ionesco décrit les carcans de la famille, des usages, des idéologies. Il dépeint combien il est difficile d’être libre dans notre société, lui qui côtoyait le collège de pataphysique plutôt que le parti communiste. Dans cette pièce, nous avons trouvé le désespoir d’un Cioran, l’humour d’un Alfred Jarry, et la profondeur dramaturgique d’un Beckett.
Paul Desveaux